Lorsqu'il est devenu l'aidant à plein temps de J., sa femme, Marc Lawrence pensait que son expérience de père de famille et de gestionnaire de projets lui faciliterait la tâche. Mais, il s'est rapidement rendu compte que le fait de s'occuper d'un adulte 24 heures sur 24 n'avait rien à voir avec ce qu'il avait connu auparavant.
Il a alors réfléchi aux qualités essentielles qu’un aidant doit avoir et à l'intérêt d'acquérir ces compétences dès le plus jeune âge. Aujourd'hui, il nous éclaire sur les quatre compétences ou qualités que tout aidant devrait posséder, et sur la façon dont il essaye de les transmettre à sa fille adolescente.
Il y a deux ans, dans un post humoristique, j'évoquais les caractéristiques nécessaires pour être de meilleurs aidants familiaux. J’ai suggéré que nous pourrions développer les huit bras d’une pieuvre, le gros cerveau d’un dauphin, et le cou flexible d’un hibou. Ces différents attributs aideraient certainement les aidants familiaux à faire face aux exigences physiques de leur rôle !
Cependant, étant donné la lenteur de l'évolution humaine, Il y a peu de chances que j’assiste à l’apparition de l'une de ces caractéristiques physiques de mon vivant. Il me faudrait pouvoir atteindre le prochain millénaire.
Plus sérieusement, même si nos enfants n'auront pas huit bras ou un cou de hibou, nous pouvons leur enseigner certaines compétences qu’ils pourront appliquer par ailleurs. Ces compétences leur permettront en effet de devenir de meilleurs aidants, le cas échéant, mais les aideront aussi dans tous les domaines de la vie.
Il faudrait que l'on accorde davantage d'importance à l'enseignement de ces compétences. Peut-être espérons-nous que ces qualités se développent « naturellement » avec le temps, ou que l’école leur enseigne certaines choses alors que nous sommes mieux placés en tant que parents.
Aujourd'hui, j’aimerais évoquer les compétences que nous devrions enseigner à nos enfants dès leur plus jeune âge. Aucun d'entre nous ne sait s'il deviendra un jour un aidant familial. Mais, étant donné que près d'un quart des adultes (22,3 %) s'occupent à temps partiel ou complet d'un membre de leur famille ou d'un ami aux États-Unis (25% des français.es sont aidant.es, source dernier baromètre 2024 du Collectif je t'Aide), la probabilité est plus élevée qu'on ne le pense. Ne serait-il pas préférable d'être préparés ? Je sais que je ne l'étais pas, malgré plusieurs années d'expérience professionnelle.
Remarque : Je ne suis pas pédopsychologue, ni même psychologue. Je m'exprime à partir de mon expérience de consultant, d'analyste industriel, de parent et d'aidant familial.
« La sympathie et l'empathie font toutes deux référence à une réaction de reconnaissance de l'état émotionnel d'autrui. Les deux termes se distinguent toutefois en ceci que la sympathie est un sentiment de préoccupation sincère pour une personne vivant une expérience difficile ou douloureuse, alors que l'empathie implique le partage actif de l'expérience émotionnelle de l'autre. »
Sans empathie, nous ne pouvons pas faire preuve de compassion à l'égard de la personne dont nous nous occupons. Il ne s'agit pas de « ressentir leur douleur », mais de se mettre à leur place et d'anticiper leurs besoins.
Bien sûr, nous pouvons suivre un planning quotidien et remplir notre mission correctement sans pour autant faire preuve d'empathie. Je peux parfaitement dire à J., ma femme : « c'est l'heure du dîner », « c'est l'heure du bain » ou « c'est l'heure du coucher ». Mais cela est plutôt mécanique et ne tient pas compte de ce qu'elle veut.
Je visualise et anticipe la façon dont elle aimerait que sa journée se déroule, au lieu d’imposer et de choisir à sa place. Cette empathie élémentaire, qui consiste à percevoir ses expressions faciales et les signaux qu’elle envoie, peut m'aider à améliorer sa qualité de vie. Cela me semble plus naturel et bienveillant, que de m'occuper d'elle en la traitant comme une checklist avec des cases à cocher.
L'empathie me permet de percevoir lorsqu’elle s'ennuie ou a faim, et j'utilise ce ressenti pour savoir ce que je dois faire ensuite. Comme moi, vous n'avez pas faim tous les jours à midi précise, alors pourquoi serait-ce différent pour elle ? L'empathie, la patience et l'intuition me permettent de répondre aux besoins de ma femme sans avoir à me soumettre à des horaires rigides.
L'empathie se développe avec l'âge, mais elle doit aussi être inculquée. Par exemple, lorsque nous sommes bébés, nous nous concentrons exclusivement sur nos propres besoins. Nous ne pouvons pas les verbaliser et considérons que les adultes sont là pour nous donner ce que nous voulons.
En grandissant, nous réalisons (normalement) petit à petit que le monde ne tourne pas autour de nous et que nous devons également tenir compte des besoins des autres.
En tant que père d'une adolescente, j'ai appris que l'empathie grandit avec le temps chez la plupart des enfants. Chez certains, cela peut être plus rapide que chez d'autres. Tout dépend de leur éducation, de leur personnalité ou s’ils souffrent d’une éventuelle maladie.
J'ai également appris qu'aider les enfants à devenir des adultes compatissants peut débuter dès leur naissance. Il existe de nombreux moyens pour encourager et renforcer ces caractéristiques tout au long de l'enfance.
La capacité de ma fille à agir avec empathie ne s’est développée que lorsqu’elle était presque adolescente. J'ai appris que les enfants atteints de TDAH (trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité) ont souvent du mal à faire preuve d'empathie. Quoi qu'il en soit, ma femme et moi avons veillé à être des modèles d’empathie. Lorsque ma fille a eu huit ans et que J. a eu un accident vasculaire cérébral, j’ai continué à agir de la sorte. Après tout, nous avions plus que jamais besoin d’empathie.
Lorsque le « bouton d'empathie » de ma fille s'est allumé, elle a pu assimiler les comportements que nous lui avions montrés. Ces mêmes comportements se sont progressivement intégrés à sa personnalité. Elle ne participe pas aux soins de sa mère, mais elle peut maintenant comprendre ce que sa mère ressent, et elle est davantage disposée à m'aider lorsque je le lui demande.
J'ai également constaté une différence considérable dans la façon dont elle traite ses amis. Elle fait preuve d’empathie et de bienveillance. Je suis ravi que nous lui ayons enseigné l'empathie dès son plus jeune âge, même si les exemples de comportements que nous lui avons montrés ont mis du temps à produire leurs effets.
Il existe des techniques pour enseigner l'empathie à votre enfant. Aux Etats Unis, la Harvard Business School of Education propose une excellente méthode, très simple dans ce domaine.
Pourquoi insistons-nous pour séparer ce qu'il est « utile de savoir » en fonction du sexe et du genre de chacun ?
Lorsque vous devenez aidant familial, il existe une chance sur deux que vous vous occupiez d'une personne de sexe différent, qu'il s'agisse d'un conjoint, d'un parent ou d'un enfant. Malheureusement, une grande partie des connaissances essentielles que nous transmettons à nos enfants dépendent du genre que nous leur attribuons.
Lorsque j'allais à l'école, on ne m'a jamais parlé des règles ni de la ménopause. À ce propos, j'ai récemment entendu dire que de nombreuses filles ne recevaient pas non plus d'enseignement formel sur la ménopause ! J'ai vécu dans un foyer où il y avait une différence d’éducation fille garçon, et mes parents n'ont donc jamais évoqué avec moi la question des règles. On ne m'a jamais appris à me maquiller ni à coiffer des cheveux longs. J'avais une sœur, de sept ans ma cadette, et je n’étais pas censé ou autorisé à l'aider, bien que je sois en âge de le faire.
Peu de temps après être devenu l'aidant de ma femme, ces lacunes m'ont fait perdre confiance en moi. Bien sûr, je pouvais faire l'essentiel, mais comment rendre justice à la beauté de ma femme et à son image de soi ? À l'époque, ma fille était encore jeune et il m'était beaucoup plus facile de m'occuper d'elle que de ma femme de 55 ans. Je connaissais mal les besoins biologiques ou en termes d’hygiène et de psychologie de ma femme.
Les oreilles percées, par exemple. Comment faire ? Si nous sortions, comment devais-je coiffer ma femme, lui choisir la bonne tenue et la maquiller comme elle le faisait auparavant ? Cette incertitude m'a fait regretter de ne pas avoir joué à la poupée lorsque j'étais enfant, ni d'avoir davantage exploré ces questions.
Le fait de m'occuper de ma femme m'a poussé à apprendre à gérer ses règles, mais aussi à lui mettre du rouge à lèvres. Après bien des années, j'ai beaucoup progressé dans ces domaines, mais je ne peux pas dire que je les maîtrise. J'ai dû rechercher des informations sur Internet et regarder des tutoriels sur YouTube. J'ai également demandé de l'aide à des amies. Je savais qu'elles ne se moqueraient pas de moi ou qu'elles ne m'infantiliseraient pas, en prenant le contrôle et en insistant sur le fait que je n'avais pas « besoin » de savoir.
Certes « comment faire une queue de cheval » n'est pas près d'être inscrit dans le programme scolaire des garçons ou des filles. C'est quelque chose qui s'apprend à la maison. J'espère néanmoins que les écoles incluront dans leurs cours de biologie les complexités du corps humain, par exemple la question des règles ou la façon dont la production d'hormones telles que les œstrogènes, la progestérone et la testostérone, diffère selon que l'on est biologiquement une femme ou un homme, et comment cette différence influe sur la physiologie et la physiopathologie humaines. Il n'existe aucune raison pour que les écoles enseignent ces questions en fonction du sexe.
Ma fille a bénéficié d'un cours mixte de santé au collège, notamment sur l’éducation sexuelle. Cela l'a clairement aidée à traverser les années de transformation physique.
Le problème est que, dans certaines régions des États-Unis, l'éducation sexuelle des enfants fait l'objet de nombreuses controverses et est parfois même interdite. La crainte est que trop de connaissances ne conduisent à des comportements « déviants ».
D'un autre côté, je crains que nous ne fassions que perpétuer des stéréotypes de longue date sur les comportements spécifiques à chaque sexe. En retour, nous réduisons la capacité de nos enfants à s'accepter, à s'aimer et à s'occuper les uns des autres. L’empathie dont nous faisons preuve devrait s'étendre au-delà du genre, du sexe ou de la sexualité.
J'espère que les parents seront moins divisés sur ce qu'ils enseignent à leurs enfants. TOUS les enfants devraient savoir faire une queue de cheval. TOUS les enfants devraient savoir remplacer une prise électrique.
Il est difficile de trouver des articles qui expliquent comment prendre soin d'une personne du sexe opposé. Beaucoup d’articles semblent prometteurs à première vue, mais il s'agit surtout d’études qui portent sur l’inégalité entre les hommes et les femmes dans le domaine de l’aidance familiale. S'ils sont intéressants et révélateurs, ils ne répondent pas au sujet spécifique de comment prendre soin d’une personne du sexe opposé et notamment par rapport aux sujets qui touchent à l’intimité.
Avez-vous déjà vu une publicité à la télé pour un traitement contre les maux d’estomac et avez-vous été dégoûté par le mot « diarrhée » ? Vous n'êtes pas le seul dans ce cas. De nombreuses personnes grandissent en réprouvant certaines fonctions corporelles naturelles. Ai-je besoin d'en dresser une liste explicite ?
Les médecins, les infirmières et les paramédics (professionnel de santé, spécialisé dans l’urgence pré hospitalière, présent dans la majorité des pays du monde, mais inexistant en France) sont confrontés à toutes sortes d’incidents et d'urgences biologiques, tout comme les aidants.
Je vous épargnerai les détails, mais ma femme souffre d’incontinence à la fois vésicale et intestinale. J'ai été confronté à des situations que je n'aurais jamais imaginé voir lorsque j'étais plus jeune, et il n'y a aucun moyen d'y échapper.
Nous parlons peut-être aujourd'hui davantage de nos fonctions corporelles, mais j'ai grandi dans un foyer où elles n’étaient pas abordées. Ma mère a souffert de la maladie de Crohn et d'une iléostomie pendant la majeure partie de sa vie, mais mes parents m'ont caché sa maladie jusqu'à la fin de mon adolescence. Je n'ai jamais su ce qu'elle a enduré, ni comment mon père l'a soutenue.
Les éruptions cutanées, les plaies, le sang et la morve sont naturels et chacun y est confronté. Le fait d'accepter ces lésions et substances du corps et de ne pas les considérer comme taboues ou dégoûtantes rendrait le rôle d'aidant familial plus tolérable.
En qualifiant ces choses de « répugnantes », nous ne tenons pas compte des sentiments des personnes dont nous nous occupons. Vous êtes sans doute dégoûté, mais ces personnes sont probablement déjà suffisamment embarrassées. Nous devons mettre de côté cette répulsion et gérer ces situations avec dignité et compassion.
Avec ma fille, je n'hésite pas à aborder ces sujets. Elle me surprend même en partageant ouvertement les étapes de son propre développement.
Compte tenu de mon éducation, ces discussions ne sont pas forcément évidentes, et je me retrouve souvent à recourir à l'humour potache.
Mais dans l'ensemble, je fais preuve de sensibilité et je ne porte pas de jugement.
Comment gérez-vous votre vie ? Êtes-vous organisé ou êtes-vous du genre à improviser ? Imaginez maintenant que vous gériez votre propre vie et celle de la personne dont vous vous occupez. Vous êtes responsable de son quotidien, comme l'hygiène, le bain, l'alimentation et l'habillement. Il faut s’occuper des médicaments et respecter les rendez-vous.
Ajoutez à cela les questions financières, médicales et émotionnelles, les loisirs et tout ce qui va avec la vie, et vous comprendrez rapidement à quel point cela peut être écrasant.
Il existe des articles sur comment gérer son temps en tant qu'aidant. Mais il est aussi important d’inculquer à nos enfants, dès leur plus jeune âge, des compétences organisationnelles et exécutives. Ces compétences sont précieuses tout au long de la vie, notamment à l'école.
J'ai pensé à tort que l'école enseignerait à mon enfant toutes les compétences organisationnelles nécessaires. C'est le cas de beaucoup de parents ! Rétrospectivement, j'aurais dû aider davantage ma fille à acquérir des compétences organisationnelles dans ses premières années, d'autant plus qu'elle souffre de TDAH. Heureusement, il existe de nombreuses solutions pour aider les parents dans ce domaine.
Comme pour la plupart des choses, le meilleur moyen de transmettre des comportements efficaces à nos enfants est de leur donner l'exemple. Avant l'accident vasculaire cérébral de ma femme, nous n'étions ni l'un ni l'autre très doués pour cela. Nous travaillions tous les deux à la maison et notre foyer mêlait vie professionnelle et vie privée sans aucun équilibre.
Je l'admets... toutes les compétences organisationnelles que ma fille a acquises au cours de ses années de maternelle et de primaire lui ont été enseignées à l'école.
J'ai essayé de me rattraper après l'accident vasculaire cérébral de ma femme. Aujourd'hui, je gère tout et je donne l'exemple en adoptant des comportements efficaces. Je vois maintenant des signes qui indiquent que ma fille intègre certains de mes enseignements.
Honnêtement, j'ai toujours éprouvé des difficultés à organiser et planifier les choses. C'est d'autant plus ironique que j'ai été chef de projets pendant de nombreuses années au début de ma carrière.
Mon problème vient d'un manque de connaissances dans ma jeunesse et ensuite du fait d’être submergé par trop d'options à l'âge adulte, et cela continue aujourd'hui. Par exemple, je connais une personne qui a commencé très tôt à recourir à un calendrier/planning papier et qui continue à l’utiliser aujourd'hui. Elle est productive, organisée et efficace.
Pour ma part, j'ai besoin d'un outil pour mon organisation. Ma méthode actuelle la plus efficace consiste à tout gérer via mon agenda en ligne. Si cela ne figure pas dans l’agenda, ce ne sera pas fait.
Trouver des moyens de développer notre compréhension et notre compassion envers les autres, nous aidera à devenir de meilleurs aidants, et de meilleurs êtres humains.
Malgré les problèmes que je rencontre quotidiennement, j'éprouve toujours de la compassion pour les personnes qui m'entourent et qui peuvent être confrontées à des difficultés encore plus grandes. L'une des choses que je préfère, c'est donner aux autres en aidant d'une façon ou d'une autre. Le désir de comprendre et d'aider ceux qui nous entourent est la raison d'être des aidants.
L'humanité doit s'ouvrir et nous devons mieux nous accepter les uns les autres, sans distinction de sexe, de race, de religion, etc. Nous devons devenir une communauté plus solidaire. Songez à vos désirs, à vos manies et à vos habitudes, puis réfléchissez au nombre de personnes qui pensent et agissent comme vous. Je suppose qu'elles sont rares.
Imaginez maintenant que quelqu'un doive s'occuper de vous, et donc gérer votre vie. Accepteriez-vous que vos manies et vos habitudes soient contrôlées par quelqu'un d'autre ? Ou préféreriez-vous que cette personne puisse faire preuve d'empathie et vous comprenne ?
Lorsque la vie nous réserve des coups durs, chacun peut avoir peur de perdre son indépendance, son intimité et son autonomie, et de ne plus pouvoir faire ses propres choix. Il peut être terrifiant de devoir compter sur les autres pour passer la journée. Mais il peut être réconfortant de savoir qu’il existe de plus en plus de personnes qui ont été éduquées pour faire face à cette situation.
La prochaine génération d'aidants familiaux sera capable de fournir ce qui est nécessaire ET ce qui est souhaité en faisant preuve d’empathie. Ils comprendront et seront à l'aise avec la physiologie humaine et les fonctions corporelles naturelles. Ils auront les compétences requises pour gérer les situations stressantes et potentiellement imprévues.
Imaginez ce monde et vous aurez confiance dans l’avenir qui nous attend.
COB-FR-NP-00130 – Jan. 2025