Cinq ans après être devenu aidant familial à temps plein, Marc Lawrence aborde trois préoccupations quotidiennes qui l’épuisent : la peur, la fatigue et l’échec.
Alors que j’entame ma cinquième année en tant qu’aidant familial, je prends un peu de temps pour faire le point.
En ce moment, j’ai rarement le temps de réfléchir à ce que je ressens ou à ce qui me pèse. Chaque jour est consacré à répondre aux besoins de mon épouse, à élever ma fille, à gérer le foyer et à faire face à tout ce qui se présente (et qui est souvent imprévisible). Heureusement, je ne suis pas de nature particulièrement stressée ou inquiète la plupart du temps, mais j’ai malgré tout l’estomac noué par l’anxiété presque 24 h/24, 7 j/7. Je suis sur le qui-vive en permanence, à deux doigts « du combat ou de la fuite », et cela me demande beaucoup d’efforts pour gérer mes émotions et mes sentiments tandis que je vaque à mes obligations.
Je me suis habitué à ce sentiment maintenant, mais je ne dis pas que c’est une façon saine de vivre. Être toujours sur le qui-vive me vide de mon énergie et de ma motivation, me rapprochant du tant redouté burn-out. J’ai pensé que faire le point, me permettrait de comprendre ce qui est à l’origine de ce problème d’anxiété et pourrait contribuer à le réduire grandement. Cette fois-ci, je m’y attaque vraiment : je ne vais ni l’ignorer, ni passer à autre chose.
Autour de nous, il y a de nombreuses raisons d’être anxieux. Le monde ne semble pas aller bien, tout ce que l’on voit dans les médias est très anxiogène. Il y a cinq ans, l’attaque dont a souffert ma femme a aussi bouleversé notre monde.
Mais j’ai fait face à des événements insensés toute ma vie (en général et dans ma vie personnelle), donc je n'ai pas l'envie de considérer cette anxiété comme "l'un de ces évènements".
Si je me force à regarder plus en profondeur et à me plonger dans mes pensées les plus intimes, je vois que mon anxiété est le reflet de trois émotions ou sentiments fondamentaux :
Oui, ces trois-là. Ces émotions ou sentiments ne sont pas là tout le temps, mais ils surgissent très souvent. J’ai appris à gérer la sensation de peur qui me ronge et la fatigue constante. Enfin non, je n’ai pas appris à les gérer. Peut-être à les accepter ? A les tolérer ?
Il devient clair que supporter ces sentiments et émotions comme s’ils étaient « mon destin » me fait plus de mal que de bien.
Je ne suis généralement pas une personne peureuse. Ou, peut-être que je l’ai toujours été mais que j’arrivais à faire avec.
Cependant, toute personne qui a subi un événement traumatisant ou qui est soumise à une pression inhabituelle, mais soutenue, ressentira une certaine peur. L’avenir est incertain, même lorsque je fais les mêmes choses jour après jour. Je ne peux jamais me sentir à l’aise ou dire : « ça y est, c’est bon ». C’est comme si j’attendais toujours une catastrophe ou une déception.
J’ai beaucoup de choses à craindre :
Je ne suis pas terrorisé par tout cela, mais l’appréhension noue mon estomac constamment. Plus j’essaie de le repousser, et plus ce nœud devient serré.
Je médite (mais pas aussi souvent que je le devrais). Je pratique la pleine conscience aussi souvent que possible et je m’assure d’avoir des projets à venir qui me font plaisir. Mais il n’y a pas moyen d’échapper complètement à la peur.
Ce qui m’aide le plus, c’est de l’accepter et de l’accueillir. Lorsque je me rends compte que l’anxiété n’est pas causée par trop de café ou des pensées irrationnelles comme « Et si une météorite s’effondrait sur la maison ? », je m’arrête. Je respire profondément, je réfléchis à quelque chose de positif et je me calme.
Ce n’est pas facile. Mais dire : « Tu ressens cela, alors reconnais-le. Accepte-le. Puis, affronte-le », est bien mieux que dire : « Je n’aime pas ça ! Je ne veux pas me sentir ainsi ! Ignore-le ! »
C’est un travail de tous les jours.
J’en ai assez de me plaindre d’être fatigué. Je n’ai jamais pu m’adapter à un sommeil aléatoire et interrompu. Ainsi, lorsque je lutte contre divers facteurs de stress, comme c’est le cas habituellement, la fatigue est écrasante.
Les conseils généraux sur le sommeil sont inutiles. J’ai consulté des médecins, des pairs et Internet, et les conseils sont généralement les mêmes :
Ce ne sont pas de mauvais conseils en soi, mais aucun d’entre eux n’a résolu mon problème. Je me sens en manque de sommeil en permanence, et c’est difficile d’être en paix avec cela. Rien ne m'aidera à rattraper le sommeil que j'ai déjà perdu.
Je vais me coucher à la même heure tous les soirs (bien que très tard). J’évite la caféine et l’alcool avant les heures allouées au sommeil, et j’utilise un appareil de « Pression Positive Constante » PPC (la plupart du temps) pour traiter mon apnée du sommeil. Ces pratiques m’aident à dormir suffisamment pour tenir toute la journée, généralement avec une courte sieste l’après-midi.
Ce qu’elles ne corrigent pas, c’est le côté émotionnel de l’épuisement. C’est aussi réel, et parfois pire, que le fardeau physique de la fatigue. Être aidant signifie que je travaille 24 h/24, 7 j/7. Je suis toujours de garde, il y a TOUJOURS quelque chose de plus à faire, et chaque jour il se produit quelque chose « d’inattendu » qui est plus ou moins agaçant et plus ou moins grave. J’ai beau essayer, je ne peux pas contrôler tous les aspects de ma vie.
Au lieu de cela, j’essaie de l’accepter et de m’en occuper du mieux que je peux. J’ai l’impression de toujours fuir le burn-out, alors je saisis toutes les rares occasions de faire une pause.
Je me considère comme une personne compétente et capable, et je ne m’inquiète généralement pas d’être confronté à des échecs importants. Cependant, au fur et à mesure que je vieillis et que la peur et la fatigue l’emportent, je risque de faire des erreurs.
Être aidant offre de nombreuses occasions de commettre des erreurs. Parfois, ce n’est pas grave, mais parfois, cela peut être très dangereux.
L’autre jour, nous sommes tous montés dans la voiture, et nous nous sommes rendus à l’un des événements scolaires de ma fille. Lorsque nous y sommes arrivés, l’école était déserte. Alors que nous attendions tout le monde, je me suis rendu compte que nous étions arrivés une heure trop tôt.
Oups ! Rien de grave — nous avons réussi à en rire et l'événement s'est bien passé. Mais une petite voix négative à l’intérieur de moi m’a rappelé que de telles erreurs étaient typiques de la fatigue chronique et de la perte de concentration. Ce jour-là, cette « absence » ne portait pas à conséquence, mais que se passerait-il si cela m’arrivait en mettant ma femme dans la baignoire ? Ou en préparant ses médicaments ? Un surdosage ou un sous-dosage pourrait avoir des effets catastrophiques.
La perte de concentration ou d’attention est une préoccupation sérieuse, même si je sais que tout le monde commet des erreurs. J’essaie d’apaiser l’inquiétude en revérifiant ce que je fais, en m’assurant d’être « présent » sur le moment et en programmant des rappels. Tous les équipements médicaux de ma femme sont régulièrement contrôlés pour détecter les défauts. J’évite de prendre des risques qui pourraient blesser ma femme ou moi-même.
Plus important encore, j’essaie de faire preuve de compassion envers moi-même lorsque quelque chose ne va pas. Je ne peux pas contrôler certaines choses, je peux en contrôler d’autres, mais personne n’est parfait. Si je brûle le dîner ou que je fais l’impasse sur la douche de ma femme parce que je ne me sens pas suffisamment stable sur mes jambes, je me dis que je ne vais pas culpabiliser.
Je veux que tout soit parfait, ce qui rend difficile d’accepter les choses qui ne le sont pas. Mais refuser de faire des compromis mène à la souffrance. Il est temps de lâcher prise par moment.
Le courage et la persévérance, forment une combinaison pour tenir sur la distance. Il s’agit d’avoir la force d’esprit de supporter la douleur, l’adversité et le danger avec courage.
Les gens me demandent régulièrement comment je fais tout ce que je dois faire. Ma réponse préférée était autrefois sarcastique : « Eh bien, ai-je le choix ? »
Une meilleure réponse serait : « Au fil du temps, j’ai réussi à développer beaucoup de courage. » Les choses auxquelles j’ai été confronté au cours de ma vie ne sont certainement pas aussi traumatiques que ce que d’autres ont pu vivre. Chaque jour, des gens perdent tout ce qu’ils possèdent à cause des catastrophes naturelles et de la guerre. Chaque jour, des gens perdent leurs proches brutalement. Chaque jour, des gens sont diagnostiqués avec une maladie chronique ou incurable.
Quand je me sens fatigué, émotif et stressé, reconnaitre la chance que j’ai dans la vie peut devenir difficile. Nous avons tous nos démons, et savoir que d’autres vivent des situations pires que la mienne n’allège pas ma charge.
Mais je me rends compte que j’ai encore mon épouse et ma fille dans ma vie. Je suis suffisamment en forme pour continuer à aller de l’avant tous les jours. Et il y a des personnes moins chanceuses qui ont besoin de mon aide.
La vie d’un aidant familial est un marathon. Il est difficile de se rendre compte des pressions que quelqu’un d’autre subit sans avoir été à sa place. Pourtant, bien que les aidants familiaux ne puissent pas échanger leurs vies avec une autre personne, nous pouvons sensibiliser les autres sur nos attentes et responsabilités quotidiennes.
Ne soyez pas une personne qui souffre en silence. Soyez une personne proactive qui demande de l’aide, qui peut exprimer ses besoins et qui n’oublie pas de respirer. Aidez les autres à vous aider quand vous le pouvez. Et, encore une fois, RESPIREZ.
COB-FR-NP-00064 - 09/2023